Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/171

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lité ceux dont la pudeur s’en abstient ? Le rayon qui frappe un diamant entouré de gangue y est-il mieux reflété qu’en un diamant bien taillé où pénètre l’essence même du feu ? En vérité, ceux-là, celles-là, qui se laissent émouvoir par la crudité des expansions sont de nature à préférer les bruits confus aux profondes mélodies : voilà tout.

— Pardon, Maximilien, interrompit madame Émery : j’écoute votre analyse un peu subtile avec une admiration sincère… mais seriez-vous assez aimable pour me dire quelle est cette heure qui sonne ?

— Dix heures, Lucienne ! répondit le jeune homme en regardant sa montre à la lueur de son cigare.

— Ah !… Bien. — Continuez.

— Pourquoi cette inquiétude rare à propos d’une heure qui passe ?

— Parce que c’est la dernière de notre amour, mon ami ! répondit Lucienne. J’ai accepté de M. de Rostanges un rendez-vous pour onze heures et demie, ce soir ; j’ai différé de vous l’apprendre jusqu’au dernier moment. — M’en voulez-vous ?… Pardonnez-moi.

Si le comte, à ces paroles, devint un peu plus pâle, l’obscurité protectrice voila cette marque d’émotion ; nul frémissement ne décela ce que dut subir son être en cet instant.

— Ah ! dit-il d’une voix égale et harmonieuse, un jeune homme des plus accomplis et qui mérite votre attachement. Recevez donc mes adieux, chère Lucienne, ajouta-t-il.

Il prit la main de sa maîtresse et la baisa.