Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/178

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La voiture s’éloigna. Le comte la suivit des yeux quelque temps, comme de raison ; puis, remontant l’avenue, à pied, le cigare aux lèvres, il rentra chez lui, au rond-point.

Quand il fut seul, dans sa chambre, il s’assit devant sa table de travail, prit, dans un nécessaire, une petite lime et parut absorbé dans le soin de se polir l’extrémité des ongles.

Puis il écrivit quelques vers sur une… vallée écossaise, dont le souvenir lui revint, assez étrangement, parmi les hasards de l’Esprit.

Puis il coupa quelques feuillets d’un livre nouveau, les parcourut, — et jeta le volume.

Deux heures de la nuit sonnèrent : il s’étira.

— Ce battement de cœur est, vraiment, insupportable ! murmura-t-il.

Il se leva, fit retomber les rideaux massifs et les tentures, alla vers un secrétaire, l’ouvrit, prit dans un tiroir un petit pistolet « coup de poing », s’approcha d’un sopha, mit l’arme dans sa poitrine, sourit, et haussa les épaules en fermant les yeux.

Un coup sourd, étouffé par les draperies, retentit ; un peu de fumée partit, bleuâtre, de la poitrine du jeune homme, qui tomba, sur les coussins.


Depuis ce temps, lorsqu’on demande à Lucienne le motif de ses toilettes sombres, elle répond à ses amoureux, d’un ton enjoué :

— Bah ! que voulez-vous ! Le noir me va si bien !