Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/193

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préciser à son aspect. Toujours est-il qu’en apercevant tout à coup, sur sa droite, une de ces glaces étroites et longues comme sa personne — sortes de miroirs publics d’attenance, parfois, aux devantures d’estaminets marquants — il fit une halte brusque, se campa, de face, vis-à-vis de son image et se toisa, délibérément, des bottes au chapeau. Puis, soudain, levant son feutre d’un geste qui sentait son autrefois, il se salua non sans quelque courtoisie.

Sa tête, ainsi découverte à l’improviste, permit alors de reconnaître l’illustre tragédien Esprit Chaudval, né Lepeinteur, dit Monanteuil, rejeton d’une très digne famille de pilotes malouins et que les mystères de la Destinée avaient induit à devenir grand premier rôle de province, tête d’affiche à l’étranger et rival (souvent heureux) de notre Frédérick-Lemaître.

Pendant qu’il se considérait avec cette sorte de stupeur, les garçons du café voisin endossaient les pardessus aux derniers habitués, leur désaccrochaient les chapeaux ; d’autres renversaient bruyamment le contenu des tirelires de nickel et empilaient en rond sur un plateau le billon de la journée. Cette hâte, cet effarement provenaient de la présence menaçante de deux subits sergents de ville qui, debout sur le seuil et les bras croisés, harcelaient de leur froid regard le patron retardataire.

Bientôt les auvents furent boulonnés dans leurs châssis de fer, — à l’exception du volet de la glace qui, par une inadvertance étrange, fut omis au milieu de la précipitation générale.