Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/196

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Le vieux comédien s’aventura, dès lors, en un monologue, avec une prostration hébétée.

— J’ai prudemment agi, continua-t-il, quand j’ai chargé, l’autre soir, mademoiselle Pinson, ma bonne camarade (qui a l’oreille du ministre et même l’oreiller), de m’obtenir, entre deux aveux brûlants, cette place de gardien de phare dont jouissaient mes pères sur les côtes ponantaises. Et, tiens ! je comprends l’effet bizarre que m’a produit ce réverbère dans cette glace !… C’était mon arrière-pensée. — Pinson va m’envoyer mon brevet, c’est sûr. Et j’irai donc me retirer dans mon phare comme un rat dans un fromage. J’éclairerai les vaisseaux au loin, sur la mer. Un phare ! cela vous a toujours l’air d’un décor. Je suis seul au monde : c’est l’asile qui, décidément, convient à mes vieux jours.

Tout à coup, Chaudval interrompit sa rêverie.

— Ah ça ! dit-il, en se tâtant la poitrine sous sa houppelande, mais… cette lettre remise par le facteur au moment où je sortais, c’est sans doute la réponse ?… Comment ! j’allais entrer au café pour la lire et je l’oublie ! — Vraiment, je baisse ! — Bon ! la voici !

Chaudval venait d’extraire de sa poche une large enveloppe, d’où s’échappa, sitôt rompue, un pli ministériel qu’il ramassa fiévreusement et parcourut, d’un coup d’œil, sous le rouge feu du réverbère.

— Mon phare ! mon brevet ! s’écria-t-il. « Sauvé, mon Dieu ! » ajouta-t-il comme par une vieille habitude machinale et d’une voix de fausset si brusque, si