Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/206

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Paris même, certaine agence sombre qui s’entend avec plusieurs conducteurs d’enterrement luxueux, avec des fossoyeurs même, à cette fin de desservir les défunts du matin en ne laissant pas inutilement s’étioler, sur les sépultures fraîches, tous ces splendides bouquets, toutes ces couronnes, toutes ces roses, dont, par centaines, la piété filiale ou conjugale surcharge quotidiennement les catafalques.

Ces fleurs sont presque toujours oubliées après les ténébreuses cérémonies. L’on n’y songe plus ; l’on est pressé de s’en revenir ; — cela se conçoit !…

C’est alors que nos aimables croquemorts s’en donnent à cœur-joie. Ils n’oublient pas les fleurs, ces messieurs ! Ils ne sont pas dans les nuages. Ils sont gens pratiques. Ils les enlèvent par brassées, en silence. Les jeter à la hâte par-dessus le mur, dans un tombereau propice, est pour eux l’affaire d’un instant.

Deux ou trois des plus égrillards et des plus dégourdis transportent la précieuse cargaison chez des fleuristes amies qui, grâce à leurs doigts de fées, sertissent de mille façons, en maints bouquets de corsage et de main, en roses isolées, même, ces mélancoliques dépouilles.

Les petites marchandes du soir alors arrivent, nanties chacune de sa corbeille. Elles circulent, disons-nous, aux premières lueurs des réverbères, sur les boulevards, devant les terrasses brillantes et dans les mille endroits de plaisir.

Et les jeunes ennuyés, jaloux de se bien faire venir des élégantes pour lesquelles ils conçoivent quelque