Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/225

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naître, dans la fumée !… En cette démence furieuse, si des gendarmes fussent survenus sous les étoiles, nul doute que ceux-ci n’eussent payé de la vie leur dévouement. — Bref, ce fut une extermination, le désespoir leur ayant communiqué la plus meurtrière énergie : celle, en un mot, qui distingue la classe des gens honorables, lorsqu’on les pousse à bout !


Pendant ce temps, les vrais brigands (c’est-à-dire la demi-douzaine de pauvres diables coupables, tout au plus, d’avoir dérobé quelques croûtes, quelques morceaux de lard ou quelques sols, à droite ou à gauche) tremblaient affreusement dans une caserne éloignée, en entendant, porté par le vent du grand chemin, le bruit croissant et terrible des détonations et les cris épouvantables des bourgeois.

S’imaginant, en effet, dans leur saisissement, qu’une battue monstre était organisée contre eux, ils avaient interrompu leur innocente partie de cartes autour de leur pichet de vin et s’étaient dressés, livides, regardant leur chef. Le vieux violoneux semblait prêt à se trouver mal. Ses grandes jambes flageolaient. Pris à l’improviste, le brave homme était hagard. Ce qu’il entendait passait son intelligence.

Toutefois, au bout de quelques minutes d’égarement, comme la fusillade continuait, les bons brigands le virent soudain, tressaillir et se poser un doigt méditatif sur l’extrémité du nez.