Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/268

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qu’aussitôt ceci terminé… La grande affaire, c’est le salut : j’espérais être pour quelque chose dans le vôtre — et voici que vous vous échappez ! Je pensais déjà que le bon Dieu vous avait envoyé…

— Mon cher abbé, m’écriai-je, je vous laisse mon fusil. Avant trois semaines, je serai de retour et, cette fois, pour quelques semaines, si vous voulez.

— Allez donc en paix ! dit l’abbé Maucombe.

— Eh ! c’est qu’il s’agit de presque toute ma fortune ! murmurai-je.

— La fortune, c’est Dieu ! dit simplement Maucombe.

— Et demain, comment vivrais-je, si ?…

— Demain, on ne vit plus, répondit-il.

Bientôt nous nous levâmes de table, un peu consolés du contretemps par cette promesse formelle de revenir.

Nous allâmes nous promener dans le verger, visiter les attenances du presbytère.

Toute la journée, l’abbé m’étala, non sans complaisance, ses pauvres trésors champêtres. Puis, pendant qu’il lisait son bréviaire, je marchai, solitairement, dans les environs, respirant l’air vivace et pur avec délices. Maucombe, à son retour, s’étendit quelque peu sur son voyage en terre sainte ; tout cela nous conduisit jusqu’au coucher du soleil.

Le soir vint. Après un frugal souper, je dis à l’abbé Maucombe :

— Mon ami, l’express part à neuf heures précises. D’ici R***, j’ai bien une heure et demie de route. Il me faut une demi-heure pour régler à l’auberge