Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/281

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L’inconnue marchait, très lente et comme peu habituée. — La suivre ? Il le fallait, il s’y décida. Le vent d’automne lui apportait le parfum d’ambre très faible qui venait d’elle, le traînant et sonore froissement de la moire sur l’asphalte.

Devant la rue Monsigny, elle s’orienta une seconde, puis marcha, comme indifférente, jusqu’à la rue de Grammont déserte et à peine éclairée.

Tout à coup le jeune homme s’arrêta ; une pensée lui traversa l’esprit. C’était une étrangère, peut-être !

Une voiture pouvait passer et l’emporter à tout jamais ! Demain, se heurter aux pierres d’une ville, toujours ! sans la retrouver !

Être séparé d’elle, sans cesse, par le hasard d’une rue, d’un instant qui peut durer l’éternité ! Quel avenir ! Cette pensée le troubla jusqu’à lui faire oublier toute considération de bienséance.

Il dépassa la jeune femme à l’angle de la sombre rue ; alors il se retourna, devint horriblement pâle et, s’appuyant au pilier de fonte du réverbère, il la salua ; puis, très simplement, pendant qu’une sorte de magnétisme charmant sortait de tout son être :

— Madame, dit-il, vous le savez ; je vous ai vue, ce soir, pour la première fois. Comme j’ai peur de ne plus vous revoir, il faut que je vous dise — (il défaillait) — que je vous aime ! acheva-t-il à voix basse, et que, si vous passez, je mourrai sans redire ces mots à personne.

Elle s’arrêta, leva son voile et considéra Félicien avec une fixité attentive. Après un court silence :