Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/290

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tentifs à leurs paroles, reçoivent le châtiment irréparable du peu de valeur qu’ils ont accordée à la qualité du sens réel, unique, enfin, que ces paroles recevaient de ceux qui les énonçaient. « Plus d’illusions ! » se disent-ils, croyant, ainsi, masquer, sous un sourire trivial, le douloureux mépris qu’ils éprouvent, en réalité, pour leur sorte d’amour, — et le désespoir qu’ils ressentent de se l’avouer à eux-mêmes.

Car ils ne veulent pas s’apercevoir qu’ils n’ont possédé que ce qu’ils désiraient ! Il leur est impossible de croire que, — hors la Pensée, qui transfigure toutes choses, — toute chose n’est qu’illusion ici-bas. Et que toute passion, acceptée et conçue dans la seule sensualité, devient bientôt plus amère que la mort pour ceux qui s’y sont abandonnés. — Regardez au visage des passants, et vous verrez si je m’abuse. — Mais nous, demain ! Quand cet instant serait venu !… J’aurais votre regard, mais je n’aurais pas votre voix ! j’aurais votre sourire… mais non vos paroles ! Et je sens que vous ne devez point parler comme les autres !…

Votre âme primitive et simple doit s’exprimer avec une vivacité presque définitive, n’est-ce pas ? Toutes les nuances de votre sentiment ne peuvent donc être trahies que dans la musique même de vos paroles ! Je sentirais bien que vous êtes tout rempli de mon image, mais la forme que vous donnez à mon être dans vos pensées, la façon dont je suis conçue par vous, et qu’on ne peut manifester que par quelques mots trouvés chaque jour, — cette forme sans lignes