Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/297

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et nous commençâmes à nous distraire davantage.

Lorsqu’on nous eut apporté les candélabres, l’éternel café, les boîtes odorantes de la Havane et les cigarettes russes, comme les fenêtres de notre retrait donnaient sur de grands arbres, je lui dis, en lui montrant le croissant qui faisait étinceler les dernières feuilles d’or bruni :

— Ma chère Maryelle, te rappelles-tu, vaguement, l’automne dernier ?

Elle eut un mouvement de tête un peu mélancolique :

— Bah ! répondit-elle. L’hiver suivant, les jolies fleurs de ces deux soirs dont tu parles sont mortes sous la neige. Tiens, n’essayons pas de raviver un bouquet de sensations fanées, — ce serait nous efforcer vers un nul plaisir. Le caprice est envolé ; c’est l’oiseau bleu ! Laissons la cage ouverte, en souvenir, veux-tu ? Restons amis.

L’heure était charmante : Maryelle venait de dire une chose aussi sensée qu’exquise ; quoi de mieux possible, désormais, qu’une causerie ? Elle voyait qu’en cet instant, du moins, j’avais plutôt souci du mot de son attitude nouvelle que de ses chers abandons… Cependant je me crus obligé, par une délicatesse, de prendre un air attristé quelque peu, — simple attention que tout homme bien élevé doit toujours et quand même à une créature gracieuse. Elle me devina, sans doute, et la sympathique alouette voulut bien se laisser prendre au miroir. Nous nous tendîmes la main en souriant : — et ce fut fini.