Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/301

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Une Marion Delorme s’éveilla dans ce corps jusque-là plongé en des limbes d’inconscience.

Bref, un rendez-vous fut accordé.

L’enfant, paraît-il, fut inouï, fou de joie, ignorant, ingénu jusqu’au délire. Et, se sentant pour la première — et dernière fois, sans doute, — aimée noblement, voilà que cette charmante insensée de Maryelle s’ « emballa » elle-même et que l’idylle commença.

Elle en devint folle !

Oh ! rien ne manque au roman ! Ni le secret à chaque voyage de Raoul, ni la petite maison louée dans un faubourg tranquille, avec des fleurs sur le balcon et donnant sur un pâle petit jardin. Là, seulement, ressuscitée des « autres », elle palpite de toutes les chastetés, de tous les abandons, de tous les bonheurs « ignorés si longtemps ! » (Et, en parlant, des larmes brillaient entre les cils de la sentimentale fille.)

Raoul est un Roméo qui ne saura peut-être jamais le fin mot de sa Juliette, car elle compte disparaître un jour. Plus tard.

L’autre femme qui était en elle est morte, à l’entendre ; — ou, plutôt, n’a, pour elle, jamais existé. — Les femmes ont de ces puissances d’oubli momentané ; elles disent à leurs souvenirs : « Vous repasserez demain », et ils obéissent.

Mais, au fond, tout ce qu’affirment les femmes de mœurs un peu libres est-il digne d’autant d’attention que le bruit du vent qui chante dans les feuilles jusqu’à l’hiver ?