Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/306

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connu de l’amour que ces vains abandons mélangés de tristes et nécessaires arrière-pensées. — Tu me demandes si tu n’as jamais pressée dans tes bras que mon fantôme ? conclut la belle rieuse : eh bien, permets-moi de te répondre que ta question serait au moins indiscrète et inconvenante (c’est le mot, sais-tu ?) si elle n’était pas absurde. Car — cela ne te regarde pas.

— Va vite retrouver ton Raoul, misérable ! m’écriai-je, furieux. — A-t-on vu l’impertinente ? Je prétends me consoler en essayant d’écrire ta ridicule histoire. Tu es d’une fidélité… à toute épreuve !

— N’oublie pas le pseudonyme ! dit, en riant, Maryelle.

Elle mit son chapeau voilé, sa longue mante, se priva de m’embrasser, — par un dernier sentiment des usages, et disparut.

Resté seul, je m’accoudai au balcon, regardant s’éloigner, sous les arbres de l’allée, la voiture, qui emportait cette amoureuse vers son amour.

— Voilà, certes, une Lucrèce nouvelle ! pensai-je.

L’herbe, toute lumineuse de l’ondée du soir, brillait sous la fenêtre : j’y jetai, par contenance, mon cigare éteint.