Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/49

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magistrale ! Ce qu’on appelle un « crétin » dans le langage du monde. Mon seul talent, c’est d’être rompu aux arcanes des boxes anglaise et irlandaise, un peu serrées. — Quant à la Littérature, je vous le déclare, c’est pour moi lettre close et scellée de sept cachets.

— Hein ? s’écrie le directeur tremblant de joie, — vous vous prétendez sans talent littéraire, jeune présomptueux !

— Je suis en mesure de prouver, séance tenante, mon impéritie en la matière.

— Impossible, hélas ! — Vous vous vantez !… balbutie le directeur, évidemment remué au plus secret de ses plus vieux espoirs.

— Je suis, continue l’étranger avec un doux sourire, ce qui s’appelle un terne et suffisant grimaud, doué d’une niaiserie d’idées et d’une trivialité de style de premier ordre, une plume banale par excellence.

— Vous ? Allons donc ! — Ah ! si c’était vrai !

— Monsieur, je vous jure…

— À d’autres ! reprend le directeur, les yeux humectés et avec un mélancolique sourire.

Puis, regardant le jeune homme avec attendrissement :

— Oui, voilà bien la Jeunesse, qui ne doute de rien ! le feu sacré ! les illusions ! Du premier coup, l’on se croit arrivé !… — Aucun talent, dites-vous ? Mais, savez-vous bien, monsieur, qu’il faut, de nos jours, être un homme des plus remarquables pour n’avoir aucun talent ? un homme considérable ?… que,