Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/82

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ment, par le mot bravo lui-même, articulé, vaguement, par deux ou trois voix : puis cela s’enfle, devient brao, puis grossit de tout le public trépignant et enlevé jusqu’au cri définitif de « Brâ-oua-ouaou » ; ce qui est presque l’aboiement. C’est là l’ovation. Coût : trois pièces d’or de la valeur de vingt francs chacune… — (Encore la Claque !)

S’agit-il, dans une partie désespérée, de détourner le taureau et de distraire sa colère ? Le Monsieur au bouquet se présente. Voici ce que c’est. Au milieu d’une tirade fastidieuse que récite la jeune première, épouvantée du silence de mort qui règne dans la salle, un monsieur, parfaitement bien mis, le carreau de vitre à l’œil, se penche en avant d’une loge, jette un bouquet sur la scène, puis, les deux mains étendues et longues, applaudit avec bruit et lenteur, sans se préoccuper du silence général ni de la tirade qu’il interrompt. Cette manœuvre a pour but de compromettre l’honneur de la comédienne, de faire sourire le Public toujours avide de l’Égrillard !… Le Public, en effet, cligne de l’œil. On indique la chose à son voisin en se prétendant « au courant » ; on regarde, alternativement, le monsieur et l’actrice : on jouit de l’embarras de la jeune femme. Ensuite la foule se retire, un peu consolée, par l’incident, de la stupidité de la pièce. Et l’on accourt, derechef, au théâtre dans l’espoir d’une confirmation de l’événement. — Somme toute : demi-succès pour l’auteur. — Coût : quelque trente francs, non compris les fleurs. — (Toujours la Claque.)