Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/101

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« Oh ! que ne puis-je, mêlée à ton sang et fondue en toi, mourir de ta peine et de mon plaisir ! Ne te châtierais-je pas d’une agonie raffinée ? Ne saurais-je pas te faire souffrir dans la perfection, affecter de torturer tes pores sensibles, faire étinceler tes yeux de pleurs de sang et d’un éclat d’angoisse ! frapper la douleur de la douleur comme on frappe la note de la note, saisir le médium du sanglot dans ta gorge, prendre tes membres vivants et en repétrir une lyre d’innombrables et impeccables agonies ! Ne saurais-je pas te repaître de fièvre, de famine, de soif, convulser de spasmes de torture parfaits ta bouche parfaite, faire frissonner en toi la vie, l’y faire brûler à nouveau et arracher ton âme même à travers ta chair !

« Cruelle, dis-tu ? Mais l’amour rend ceux qui l’aiment aussi savants que le Ciel et plus cruels que l’Enfer ! Et moi, l’amour m’a rendue plus cruelle à ton égard que la mort à l’égard de l’homme. Fussé-je celui qui a créé toutes choses pour les détruire une à une, et si mes pas foulaient les étoiles et le soleil et les âmes des hommes comme ses pas les ont toujours foulées, Dieu sait que je pourrais être plus cruelle que Dieu.

« — Ah ! plût aux dieux que mes lèvres, inharmonieuses, ne fussent que des lèvres collées aux charmes meurtris de ta blanche poitrine flagellée ! qu’au lieu d’être nourries du lait céleste, elles le fussent du doux sang de tes douces petites blessures ! Que ne puis-je les sentir avec ma langue,