Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/109

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devant des tréteaux quelconques. Le reste du temps, il goûtait la joie de s’entendre gratifier du titre de fol par les passants éclairés qui l’approchaient : — d’aucuns, même, poussaient la condescendance jusqu’à lui donner du « ma vieille » et du « mon petit ! » long comme le bras : ceux-là c’étaient des gens équilibrés, c’est-à-dire doués de cette stérilité de bon goût qui, rehaussée d’une indurée suffisance, caractérise les personnes un peu trop exclusivement raisonnables.

Donc, cet attristé, que tant d’oisifs eussent déclaré mûr pour le suicide, était assis, ce soir-là, devant certain notable commerçant — qui, jambes croisées en face de lui, l’observait, avec une pitié sincère, aux lueurs d’une morne chandelle, en lui souriant d’un air familier.

Cet interlocuteur de hasard n’était autre (la destinée offre de ces contrastes) que l’un de nos Épiciers les plus en vue, — le plus sympathique, le plus éminent peut-être, — celui, enfin, dont le nom seul fait battre, aujourd’hui, d’une émulation légitime, tant de cœurs, en France. L’excellent homme avait, en effet, supplié longtemps son « ami » d’accepter (oh ! sans phrases !) ces quelques menus liards qui, une fois reçus, confèrent — de l’assentiment de nous tous — au bon prêteur le droit d’en user sans façons avec celui qu’il ne rêvait d’obliger qu’à cette fin. Il s’agissait, pour le trop libéral millionnaire, en cette aventure, de cinquante-quatre beaux francs, avancés, sans garantie, en cinq fois, de peur de gaspillage artisti-