Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/121

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faconde, acceptèrent, non sans une danse d’enthousiasme.

Étant donné l’insensibilisant breuvage, aussi connu de certaines tribus indigènes qu’il l’est, par exemple, des Yoghis de l’Inde, — breuvage grâce auquel, selon la dose, on peut demeurer en léthargie, sans manger ni respirer, durant le temps que l’on veut, — les trois aventuriers en absorberaient chacun pour trente-cinq heures. Le premier réveillé couperait, d’un coup de tomahawk, la tresse qui, nouée à l’intérieur de la pirogue, retiendrait le lest ; il enfoncerait le bouchon en feuilles de caoutchouc dans l’ouverture, et l’on remonterait, en trois secondes, à la surface de la mer où, le couvercle étant soulevé d’une énergique poussée, l’on respirerait d’abord, et l’on découvrirait ensuite la terre nouvelle. Cela fait, et après un séjour plus ou moins prolongé chez les sympathiques peuplades de ces parages, les trois nautoniers, à l’aide de la seconde dose emportée à leurs ceintures, réintégreraient la pirogue, la réimmergeraient en plein courant de retour — et, une fois revenus en leur île natale, raconteraient les choses dans une assemblée solennelle présidée par le roi.

Comme on le voit, c’était excessivement simple.

Un beau matin donc, les noirs aventuriers, ayant ingurgité le nécessaire, s’étendirent dans leur embarcation, et, dès les premiers symptômes léthargiques, ayant rabattu le couvercle, se laissèrent, d’une commune secousse, rouler