Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/123

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les ombrages duquel ils venaient de prendre leur repas du soir en fêtant la dive bouteille, — l’aperçurent, et, le prenant pour le Diable, se ruèrent sur lui. L’infortuné navigateur, ayant voulu se défendre, fut assommé sur place par ces superstitieux mathurins, sous les regards perçants et terrifiés de ses deux séides.

Ceux-ci, en promenant autour d’eux des prunelles effarées, remarquèrent sur le sable, auprès d’eux, un long et vieux cordage abandonné. S’en saisir, y lier un morceau de roche — d’un tiers moins gros que celui du précédent lest — fut, pour eux, l’affaire d’une demi-minute.

Ayant transporté la pirogue sur le bord avancé des rocs, au-dessus du courant sauveur indiqué par le défunt, ils avalèrent, à la hâte, l’autre moitié de leur fameux topique, se coulèrent dans la pirogue, rabattirent sur eux le couvercle hermétique et, d’un vigoureux balancement intérieur, s’envoyèrent en plongeon dans la mer, entraînant la corde et son lest central.

Trente-cinq heures après, l’embarcation heurtant, à coups redoublés, les roches de leur île, réveilla les dormeurs en sursaut : la pirogue s’étant brisée, ils prirent un bain peut-être involontaire, mais revivifiant, et remontèrent chez leurs semblables — où, les larmes aux yeux et troublés à jamais de ce qu’ils avaient entrevu là-bas — ils narrèrent l’aventure.

Cette fois, le roi décréta la peine de mort contre