Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/155

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quet monstre le char morose, — derrière lequel, isolé de trois pas de la longue suite des piétons et des voitures, marchait tête nue et le mouchoir appuyé au visage qui ? M. Juste Romain, lui-même. Il venait d’être éprouvé à son tour ; en moins de vingt-quatre heures, sa femme, sa tendre femme, avait succombé…

Aux yeux du monde, suivre, soi-même, le convoi d’une épouse plus qu’aimée est un acte d’inconvenance. Mais M. Juste Romain se souciait bien du monde, en ce moment !… Au bout de cinq mois, à peine, de délices conjugales, avoir vu s’éteindre son unique, sa meilleure moitié, sa trop passionnée conjointe, hélas ! Ah ! la vie, ne lui offrant, désormais plus, aucune saveur, n’était-ce pas — vraiment — à s’y soustraire ?… Le chagrin l’égarait au point que ses fonctions sociales elles-mêmes ne lui semblaient plus mériter qu’un ricanement amer ! Qui lui importait à présent, ponts et chaussées !… Nature nerveuse, il ressentait maints lancinants transports, causés par mille souvenirs de joies à jamais perdues. Et ses regrets s’avivaient, s’augmentaient, s’enflaient encore de la solennité ambiante, — de la préséance même qu’il avait l’honneur d’occuper, à l’écart de ses semblables, immédiatement derrière ce corbillard somptueux, d’une classe de choix, et d’où quelque chose de la majesté de la Mort semblait rejaillir sur lui et sa douleur, les « poétisant ». — Mais l’intime simplicité de sa tristesse, n’étant que falsifiée par ce sentiment théâtral, s’en envenimait, à chaque pas jus-