Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/280

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herbes, lui ajusta, pour l’assoupir, — et avec la rapidité de l’éclair, — les ressorts d’acier d’une bonbonne de chloroforme à l’extrémité de la trompe. La bête, en un moment suffoquée, brûlée, étourdie, agitait en vain, de tous côtés, son proboscide, brandissant et secouant, au hasard, l’asphyxiante mais tenace bonbonne : l’aspiration de chaque effort l’engourdissait davantage. Le pieux cornac, la sentant vaciller, sortit enfin de son extase et voulut sauter à terre. Il y fut reçu par Mayëris et l’un des siens qui, en un clin d’œil, le bâillonnèrent et le lièrent pendant que les autres étayaient, à droite et à gauche, avec de forts troncs d’arbustes, l’éléphant à présent comateux et plus qu’à demi pâmé. Vite on enleva, de la courbure des défenses, les ornements d’or, les bracelets de pierreries dont les femmes de la ville les avaient surchargées — et l’on ouvrit les barils ; quatorze bras expéditifs se mirent alors à le badigeonner de la queue à ses larges oreilles, imbibant d’une double couche de la pénétrante liqueur jusqu’aux derniers replis de la trompe. Dix minutes après, l’éléphant sacré complètement travesti, à l’exception des ivoires, était devenu nègre. L’on profita du moment psychologique où l’animal semblait revenir à soi-même pour l’attirer, docile, vers le radeau. Dès qu’il s’y fut avancé, ses vastes pieds y furent saisis en de grosses entraves d’acier-fer. L’on déploya la tente au-dessus de lui, en toute hâte ; l’on jeta le mahout sur un lit de feuillages, on décrocha les amarres et — for ever !