Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/288

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le mental ! sommeiller les yeux ouverts comme un vivant convenu. — Un tel voyage de recréation ne pouvait, d’abord (ce présumai-je), qu’être utile à ma chère santé, car je m’étiolais, en vérité, sur ces redoutables bouquins ! — Bref, d’après mon espoir, pareille diversion me rendrait au parfait équilibre de moi-même et, certes, j’apprécierais, au retour, les nouvelles forces que cette trêve intellectuelle m’aurait procurées.

Voulant m’éviter, en cette excursion, toute occasion de penser ou de rencontrer des penseurs, je ne voyais guère, sur la surface du globe, — (à l’exception de pays tout à fait rudimentaires), — oui, je ne voyais qu’une seule contrée dont le sol fantaisiste, artistique et oriental n’a jamais fourni de métaphysiciens à l’Humanité. À ce signalement, nous reconnaissons, n’est-il pas vrai ? la Péninsule Ibérique.

Ce soir-là, donc, — et à cette réflexion décisive, — assis en la tonnelle du jardin, où, tout en suivant, du regard, les spirales opalisées d’une cigarette, je savourais l’arôme d’une tasse de pur café, je ne résistai pas, je l’avoue, au plaisir de m’écrier : « Allons ! vive la fugue joyeuse à travers les Espagnes ! Je veux me laisser à mon tour, séduire par les chefs-d’œuvre du bel art sarrasin ! par les ardentes peintures des maîtres passés ! par la beauté apparue entre les battements de vos éventails noirs, pâles femmes de l’Andalousie ! Vivent les villes souveraines, au ciel enchanté, aux chatoyants souvenirs, et que, la nuit, sous ma lampe, j’ai entrevues dans les récits des touristes ! À