Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/326

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de légende moderne qu’accréditaient des témoignages, des circonstances — et à laquelle lui-même se trouvait étrangement mêlé.

Autrefois, il y avait de longues années ! un malheureux, d’une origine inconnue, expulsé d’une petite ville de la Prusse saxonne, était apparu, un certain jour, en 1833, dans Paris.

Là, s’exprimant à peine en notre langue, exténué, délabré, sans asile ni ressources, il avait osé se déclarer n’être autre que Celui… dont la tête auguste était tombée le 21 janvier 1793, place de la Concorde, sous la hache du peuple français.

À la faveur, disait-il, d’un acte de décès quelconque, d’une obscure substitution, d’une rançon inconnue, le dauphin de France, grâce au dévouement de deux gentilshommes, s’était positivement échappé des murs du Temple, et l’évadé royal… c’était lui. — Après mille traverses et mille misères, il était revenu justifier de son identité. N’ayant trouvé, dans sa capitale, qu’un grabat de charité, cet homme que nul n’accusa de démence, mais de mensonge, parlait du trône de France en héritier légitime. Accablé sous la presque universelle persuasion d’une imposture, ce personnage inécouté, repoussé de tous les territoires, s’en était allé tristement mourir, l’an 1845, dans la ville de Delft en Hollande.

On eût dit, en voyant cette face morte, que le Destin s’était écrié : — Toi, je te frapperai de mes poings au visage, jusqu’à ce que ta mère ne te reconnaisse plus.