Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/383

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perdues parmi les champs de roses, aux bords opposés du Gange.

« Ô Sivâ ! je revins éblouie, le soir !… Et, lorsque je me retrouvai seule, en cette salle du palais de Séür où je devins, où je demeure veuve, une mélancolie de vivre m’accabla : je me sentis plus troublée que je ne l’aurais cru possible !

« Ô couple pur d’êtres charmants qui s’étonnaient sans me haïr ! Leur existence ne palpitait que d’un espoir : leur union d’amour !… libres ou captifs !… fût-ce même dans l’exil !… Cet adolescent royal, aux regards limpides, et dont les traits me rappelaient de Sinjab ! Cette enfant chaste et si aimante, et si belle !… leurs âmes séparées, mais non désunies, s’appelaient et se savaient l’une à l’autre ! N’est-ce donc pas ainsi que notre race conçoit et ressent, depuis les âges, en notre Inde sublime, le sentiment de l’amour ? Fidèle, immortellement !

« Eux, un danger, Sivâ ? — Mais Sedjnour, élevé par des sages, rendait grâce aux Destinées de se voir allégé du souci des rois ! Il me plaignait, en souriant, de m’en être si passionnément fatigiuée ! Prince insoucieux de gloire, il jugeait frivoles ces lauriers idéals dont le seul éclat me fait pâlir !… S’aimer ! Tel était — ainsi que pour son amante Yelka — l’unique royaume ! Et, disaient-ils, ils étaient bien assurés que j’allais les réunir vite — puisque je fus aimée et que j’étais fidèle. »