Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/395

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sens où telle subite violence de l’Amour détruirait en eux, dans la lueur d’un même instant, les forces de la vie ?… Vraiment, quels autres enchantements qu’une réflexion toute naturelle devais-je mettre en œuvre pour satisfaire à l’imaginaire de ce dessein ? — Écoute : et daigne te souvenir.

« Lorsque tu accordas la fleur de toi-même au jeune époux, lorsque Sinjab te cueillit en des étreintes radieuses, jamais nulle vierge, t’écriais-tu, n’a frémi de plus ardentes délices, et ta stupeur, selon ce que tu m’attestas, était d’avoir survécu à ce grave ravissement.

« C’est que, — rappelle-toi, — déjà favorisée d’un sceptre, l’esprit troublé d’ambitieuses songeries, l’âme disséminée en mille soucis d’avenir, il n’était plus en ton pouvoir de te donner tout entière. Chacune de ces choses retenait, au fond de ta mémoire, un peu de ton être et, ne t’appartenant plus en totalité, tu te ressaisissais obscurément et malgré toi — jusqu’en ce conjugal charme de l’embrassement — aux attirances de ces choses étrangères à l’Amour.

« Pourquoi, dès lors, t’étonner, Akëdysséril, de survivre au péril que tu n’as pas couru ?

« Déjà tu connaissais, aussi, des bords de cette coupe où fermente l’ivresse des cieux, d’avant-coureurs parfums de baisers dont l’idéal avait effleuré tes lèvres, émoussant la divine sensation future. Considère ton veuvage, ô belle veuve d’amour, qui sais si distraitement survivre à ta douleur ! Comment