Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/396

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la possession t’aurait-elle tuée, d’un être — dont la perte même te voit vivre ?

« C’est que, jeune femme, ta nuit nuptiale ne fut qu’étoilée. Son étincelante pâleur fut toute pareille à celle de mille bleus crépuscules, réunis au firmament, et se voilant à peine les uns les autres. L’éclair de Kamadêva, le Seigneur de l’amour, ne les traversa que d’une pâleur un peu plus lumineuse, mais fugitive ! Et ce n’est pas en ces douces nuits que les cœurs humains peuvent subir le choc de sa puissante foudre.

« Non !… Ce n’est que dans les nuits désespérées, noires et désolatrices, aux airs inspirateurs de mourir, où nul regret des choses perdues, nul désir des choses rêvées ne palpitent plus dans l’être, hormis l’amour seul, — c’est seulement en ces sortes de nuits qu’un aussi rouge éclair peut luire, sillonner l’étendue et anéantir ceux qu’il frappe ! C’est en ce vide seul que l’Amour, enfin, peut librement pénétrer les cœurs et les sens, et les pensées, au point de les dissoudre en lui d’une seule et mortelle commotion ! Car une loi des dieux a voulu que l’intensité d’une joie se mesurât à la grandeur du désespoir subi pour elle : alors seulement cette joie, se saisissant à la fois de toute l’âme, l’incendie, la consume et peut la délivrer.

« C’est pourquoi j’ai accumulé beaucoup de nuit dans l’être de ces deux enfants : je la fis même plus profonde et plus dévastée que n’ont pu le dire les phaodjs !… Maintenant, reine, quant aux enchantements dont disposent les antiques brahmanes,