Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/40

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Sa chère Ardiane, dite la belle Basquaise, à cause des siens, était née à Ypinx-les-Trembles. D’abord enfant glaneuse, — fleur de sillons, — puis faneuse, puis, comme les orphelines du lieu, cordière-tisserande, elle avait grandi chez une vieille marraine qui, jadis, l’avait recueillie en sa masure et qu’en retour la jeune fille avait nourrie de son travail, ainsi que soignée à l’heure de la mort. — Et la sage Ardiane Inféral s’était distinguée, toujours, malgré son enfiévrante beauté, par une conduite sans reproches. De sorte que Pier Albrun, — ex-fourrier aux chasseurs d’Afrique, puis, de retour, sergent instructeur du corps des pompiers de la ville, puis exempté du service pour blessures gagnées dans les incendies, et nommé enfin, pour actes de mérite, à la charge du précédent garde-chef, — avait épousé Ardiane, après six mois environ, de baisers et de fiançailles.

Or, ce soir-là, près de la croisée grande ouverte sur un ciel d’étoiles, la belle Ardiane, assise, des grains de corail au cou, ses bandeaux noirs au long de ses joues pâles, svelte, en un blanc peignoir, dans le fauteuil de paille tressée, et son bel enfant, de huit mois déjà, lui épuisant le sein, regardait, de ses noirs yeux un peu fixes, le village endormi, la campagne lointaine — et, tout là-bas, les remuantes verdures des sapins. Aux souffles de la nuit, saturés d’effluves de fleurs, ses narines, arquées, voluptueusement frémissaient ; la bouche montrait ses irisées dents très blanches entre le pur dessin de ses lèvres couleur de sang : la main