Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/46

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trouve qu’il fait meilleur ici, ensemble. Crois-moi, ça vaut bien ce qui est arrivé à tous ces… indifférents-là !

— Cruelle, tu as du sang de volcan dans les veines ! répondit Albrun.

— D’ailleurs, les contrebandiers, — reprit-elle avec un si étrange sourire qu’il en tressaillit, — ils ont bien autres choses à faire que de revenir s’acharner pour rien : laisse donc ! c’est bon pour les simples d’ici… de croire que c’est eux !

Le garde-chef, sans se rendre compte de ce qu’il éprouvait, la regarda, soucieux, en silence ; puis :

— Qui serait-ce, alors ? dit-il : ici, tout le monde s’aime ; on se connaît ; pas de voleurs, — ni de malfaiteurs, jamais ! Personne, que ces tueurs de gabelous, n’avait intérêt… Quelle main… par vengeance… aurait osé…

— Peut-être fut-ce par amour! dit la Basquaise : — tiens, moi, tu sais, une fois aimante… ciel et terre périssent plutôt ! — Quelle main, dis-tu ? Voyons, mon Pier !… Et — si c’était celle que tu tiens là, sous tes lèvres ?

Albrun, qui connaissait sa femme, laissa tomber, en un saisissement, la main qu’il baisait : il ressentit comme froid plein le cœur.

— Tu veux rire, Ardiane ? dit-il.

Mais la sauvage créature parfumée, la belle fauve, d’un enivrant mouvement d’amour, l’attira par le cou — et, d’une voix entrecoupée, dont