Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/64

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car les reflets du fanal, en vacillant sur toutes ces figures, en vitalisaient l’impassibilité. On l’observait ! Cette foule aux yeux fixes paraissait attendre. — « À moi! » râla-t-il ; — et il n’osa recommencer, se disant, dans l’excès de ses affres, que la seule vibration de sa voix pouvait suffire pour… Et cette idée fixe ravinait son front livide, tirait ses bonnes bajoues généreuses ; des fourmillements lui couraient sur le crâne, car, en ce noir silence et devant la hideuse absurdité d’un tel décès, ses cheveux et sa barbe commençaient graduellement à blanchir (les condamnés, durant l’agonie de la toilette, ont offert, maintes fois, ce phénomène). Les minutes le vieillissaient comme des jours. À un craquement subit du bois, il s’évanouit. Au bout de deux heures, comme il revenait à lui, le froid sentiment de sa situation lui fit savourer un nouveau genre d’intime torture, jusqu’au moment où le soudain grattement d’une souris lui causa une syncope définitive.


Au rouvrir des yeux, il se trouva, demi-nu, en un fauteuil du musée, entouré de garçons et d’ouvriers qui le frottaient de linges chauds, lui faisaient respirer de l’alcali, du vinaigre, lui frappaient dans les mains.

— Oh !… balbutia-t-il, d’un air égaré, à la vue de la guillotine sur l’estrade.

Une fois un peu remis, il murmura :

— Quel rêve ! oh ! la nuit — sous… l’épouvantable couteau !