Page:Villiers de L’Isle-Adam - Isis, 1862.djvu/87

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Sa prière du matin et du soir en faisait un ange… et cependant, lorsqu’elle était seule dans l’oratoire, lorsque sa mère ne priait pas à ses côtés, il lui arrivait de s’interrompre tout à coup, de relever le front et de regarder fixement la vénérable image de la madone, de Celle qui donne la bonne mort.

Une fois, — elle avait alors quinze ans, — au milieu de la prière qu’elle prolongeait tous les soirs depuis une année, elle s’arrêta, parut troublée… et s’avança lentement près d’un crucifix placé auprès de la madone. Elle demeura devant lui dans le silence d’un recueillement indéfinissable ; puis, deux larmes, les deux premières qu’elle versait dans la vie, coulèrent le long de son visage. Une grande pâleur, qu’elle conserva toujours depuis, fut le seul indice du vertige qu’elle éprouvait : quelque temps après, elle quitta l’oratoire et n’y revint plus.

Sa puissance d’attention se concentrait dans les soirées où le duc recevait de vieux amis. Elle notait dans sa mémoire les remarques de ces vieux courtisans de l’ancien règne, qui avaient grisonné dans la diplomatie européenne, et qui étaient loin d’avoir perdu le fil des divers cabinets politiques