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MÉMOIRES.

l’empire : son procès était commencé : il était déclaré rebelle ; et, s’il était pris, l’apparence était qu’il aurait été condamné à perdre la tête.

Dans ces extrémités, il lui passa dans l’esprit de vouloir se tuer. Il écrivit à sa sœur, Mme la margrave de Baireuth, qu’il allait terminer sa vie : il ne voulut point finir la pièce sans quelques vers ; la passion de la poésie était encore plus forte en lui que la haine de la vie. Il écrivit donc au marquis d’Argens[1] une longue épitre en vers, dans laquelle il lui faisait part de sa résolution, et lui disait adieu. Quelque singulière que soit cette épître par le sujet et par celui qui l’a écrite, et par le personnage à qui elle est adressée, il n’y a pas moyen de la transcrire ici tout entière, tant il y a de répétitions ; mais on y trouve quelques morceaux assez bien tournés pour un roi du Nord ; en voici plusieurs passages :

Ami, le sort en est jeté.
Las de plier dans l’infortune,
Sous le joug de l’adversité,
J’accourcis le temps arrêté
Que la nature notre mère
À mes jours remplis de misère

A daigné prodiguer par libéralité.
D’un cœur assuré, d’un œil ferme,
Je m’approche de l’heureux terme

Qui va me garantir contre les coups du sort,
Sans timidité, sans effort[2].

  1. Erfurt, 23 septembre 1757.
  2. Les diverses éditions des Mémoires diffèrent ici pour la ponctuation. Toutes sont d’accord pour le texte ; mais il fallait, ou supprimer ce dernier vers, ou en transcrire quelques-uns de plus. Voici ce qu’on lit dans les Œuvres du roi de Prusse :

    .  .  .  .  .  . Contre les coups du sort.
    Sans timidité, sans effort,

    J’entreprends de couper dans les mains de la parque
    Le fil trop allongé de ses tardifs fuseaux ;

     Et sûr de l’appui d’Atropos
    Je vais m’élancer dans la barque

    Où sans distinction le berger, le monarque.
    Passent dans le séjour de l’éternel repos.
    Adieu, lauriers trompeurs, couronne des héros.
    Il n’en coûte que trop pour vivre dans l’histoire ;

    Souvent quarante ans de travaux
    Ne valent qu’un instant de gloire
    Et la haine de cent rivaux.
    Adieu, grandeurs, etc.

    J’indiquerai par des points les endroits où il y a lacune, et passerai sous silence toutes les variantes (hors une) qu’il y a entre le texte rapporté par Voltaire et le texte des Œuvres de Frédéric. (B.)