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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

L’essence de cette manière d’envisager l’histoire, dont Voltaire est le créateur, consiste dans la haine qui éclate partout, à toute occasion et sous toutes les formes imaginables, contre les religieux et les prêtres, contre le christianisme et contre toute religion. Dans ce point de vue politique domine une prédilection étroite, inapplicable à l’Europe, pour tout ce qui est républicain ; et souvent, avec une fausse appréciation et une connaissance très-imparfaite du véritable esprit républicain et de la véritable république....

Quelque penchant qu’il eût à rendre hommage à la vanité de sa nation, il avait cependant parfois des moments d’humeur et de mécontentement où il s’exprimait à son égard avec sincérité et même avec amertume, comme dans ces mots : « Il y a du tigre et du singe dans la nation française », qu’on eût pu facilement rétorquer contre lui-même ; tant il était impossible à cet esprit mordant de traiter un sujet quelconque avec l’attention convenable et une gravité soutenue. En flattant la vanité de sa nation, il lui donna pour longtemps une fausse direction, dont les suites funestes n’ont commencé à diminuer que lorsque les Français ont repris vis-à-vis des autres nations une altitude naturelle et plus convenable. (Histoire de la Littérature.)

... En religion, les écrits de Voltaire, qui avait la tolérance pour but, sont inspirés par l’esprit de la première moitié du siècle ; mais sa misérable et vaniteuse irréligion a flétri la seconde.

... Bayle ... est l’arsenal où l’on a puisé toutes les plaisanteries du scepticisme ; Voltaire les a rendues piquantes par son esprit et sa grâce ; mais le fond de tout cela est toujours qu’on doit mettre au nombre des rêveries tout ce qui n’est pas aussi évident qu’une expérience physique.

... Voltaire sentait si bien l’influence que les systèmes métaphysiques exercent sur la tendance générale des esprits, que c’est pour combattre Leibnitz qu’il a composé Candide. Il prit une humeur singulière contre les causes finales, l’optimisme, le libre arbitre, enfin contre toutes les opinions philosophiques qui relèvent la dignité de l’homme, et il fit Candide, cet ouvrage d’une gaieté infernale : car il semble écrit par un être d’une autre nature que nous, indifférent à notre sort, content de nos souffrances, et riant comme un démon, ou comme un singe, des misères de cette espèce humaine avec laquelle il n’a rien de commun. Le plus grand poëte du siècle, l’auteur d’Alzire, de Tancrède, de Mérope, de Zaïre et de Brutus, méconnut dans cet écrit toutes les grandeurs morales qu’il avait si dignement célébrées....