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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

... Il avait trouvé ce qu’il cherchait, une vérité philosophique un peu mondaine, ennemie des abstractions, des chimères de toute sorte, pleine de faits, d’observations intéressantes et judicieuses, et sceptique sans excès.

... Rendons-lui cette justice que dans ses plus mauvais jours il n’a jamais douté de Dieu. Il a même pleinement admis la liberté... À quels excès ne l’a pas conduit la déplorable habitude de tourner tout en moquerie ! (Histoire générale de la philosophie.)

Considéré comme homme appartenant à son temps et à son pays, Voltaire représente évidemment la bourgeoisie, ou le tiers état arrivant à supplanter la noblesse, le clergé, la monarchie. Il fut imprégné de bonne heure de tout le ferment de liberté, d’ambition et d’audace qui était dans cette bourgeoisie, et qui, après lui, et grâce à lui, se révéla au monde par la Révolution de 89. Alors on vit clairement que Voltaire représentait la bourgeoisie ; l’Assemblée constituante fut voltairienne, mais la Convention fut disciple de Rousseau.

... L’éducation, la fortune, tout le favorisa.

... En comparaison des hommes de son temps, de quoi donc accuse-t-on Voltaire ? L’accusera-t-on de l’immoralité qui régnait autour de lui ? Est-ce lui, par hasard, qui a produit la Régence ? Est-ce lui qui a produit la cour de Louis XV ? De quel prince, de quel roi, de quel ministre de ce temps a-t-il été le corrupteur ? Il a eu de l’influence sur les souverains du Nord, sur Frédéric, sur Catherine ; mais lisez l’histoire, et vous verrez si c’est lui qui les a corrompus. Une horrible barbarie, source d’épouvantables crimes, régnait alors dans ces cours du Nord, de même qu’une corruption raffinée régnait en France.

Voltaire, supérieur par ses aspirations à tout ce grand troupeau vulgaire, papes, rois, princes, ministres, nobles et prêtres, qui s’agitaient autour de lui, n’avait pourtant pas, dans cette vague religion qu’il nommait, d’après ses maîtres, déisme, une base assez solide pour n’être pas lui-même ébranlé ; et souvent la nuée lumineuse disparaissait à ses yeux. Alors il n’était plus qu’un destructeur. Est-ce complètement sa faute ? et ne remplissait-il pas, avec la mesure de vérité qu’il possédait, un rôle nécessaire, un rôle utile ? La vieille religion n’était plus qu’un nuage fétide sur un étang bourbeux : il fallait bien que la foudre éclatât dans ce nuage pour le dissiper et renouveler l’atmosphère.

Et afin que l’œuvre nécessaire s’accomplît, il ne manquait pas de persécuteurs acharnés après Voltaire pour aiguillonner son courage, pour l’enflammer de colère, et produire sur lui cet enivrement et cette fureur aveugle que les toréadors, quand ils veulent faire combattre leur ennemi, excitent à plaisir.