Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LVI
JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

Voltaire, du premier jour qu’il débuta dans le monde et dans la vie, semble avoir été lui tout entier et n’avoir pas eu besoin d’école. Sa grâce, son brillant, sa pétulance, le sérieux et parfois le pathétique qui se cachaient sous ces dehors légers, du premier jour il eut tout cela. Pourtant, il n’acquit toute sa vigueur de talent et son ressort de caractère que lorsqu’il eut connu l’injustice et le malheur.... Voltaire, malheureux pour la première fois, s’exila en Angleterre...., et il revint de là tout entier formé et avec sa trempe dernière. La pétulance de son instinct ne se corrigea sans doute jamais, mais il y mêle dès lors une réflexion, un fond de prudence, auquel il revenait à travers et nonobstant toutes les infractions et les mésaventures. Il était de ceux à qui le plaisir de penser et d’écrire en liberté tient lieu de tout....

... Il avait pour principe qu’il faut dévorer les choses pour qu’elles ne nous dévorent pas, et pour ne pas se dévorer soi-même...

Ce n’est pas un démocrate que Voltaire.... Voltaire est contre les majorités et les méprise ; en fait de raison, les masses lui paraissent naturellement bêtes ; il ne croit au bon sens que chez un petit nombre, et c’est assez pour lui si l’on parvient à grossir peu à peu le petit troupeau. (Causeries du Lundi.)

Fixé à la terre de Ferney, il s’abandonna pendant les vingt dernières années de sa vie à cette impiété terrible qui passa les proportions de la passion humaine. Mais, comme pour faire ressortir ce trait de caractère par le contraste, en même temps que la haine des choses saintes remplissait son âme et le poussait à des excès inouïs, il faisait avec plaisir, avec passion même, un grand bien matériel. L’amour de l’humanité, cette partie intégrante de l’amour de Dieu, en restait fort indépendant dans les idées de Voltaire. Il s’occupa vivement, puissamment, des misérables qu’il appelait ses vassaux. Il leur bâtit des maisons, leur fit défricher des terres, dessécher des marais...

Sa haine contre le christianisme excitait d’abord l’horreur, puis l’étonnement. Jamais Dieu n’avait eu tant à souffrir d’un homme. Le mensonge, la calomnie, le cynisme, la bêtise même, tout, dans ses écrits de vieillard, témoignait d’un inexplicable amour du mal, d’une fécondité de pensées et de sentiments coupables qu’on n’eût pas attendue d’un âge propre aux passions. Renverser la religion, telle était sa pensée de nuit et de jour. (Le Plutarque français. Vie de Voltaire.)