Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/457

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Ne suis-je pas en droit de rabaisser son ton,
En lui faisant moi-même un plus sage sermon ?
À qui se porte bien qu’on prêche la morale :
Mais il est ridicule en notre heure fatale
D’ordonner l’abstinence à qui ne peut manger.
Un mort dans son tombeau ne peut se corriger.
Profitons bien du temps : ce sont là tes maximes.
Cher Horace, plains-moi de les tracer en rimes ;
La rime est nécessaire à nos jargons nouveaux,
Enfants demi-polis des Normands et des Goths.
Elle flatte l’oreille ; et souvent la césure
Plaît, je ne sais comment, en rompant la mesure.
Dos beaux vers pleins de sens le lecteur est charmé.
Corneille, Despréaux, et Racine, ont rimé.
Mais j’apprends qu’aujourd’hui Melpomène propose
D’abaisser son cothurne, et de parler en prose[1].




ÉPÎTRE CXV.


AU ROI DE SUÈDE, GUSTAVE III[2].


(1772)


Jeune et digne héritier du grand nom de Gustave,
Sauveur d’un peuple libre, et roi d’un peuple brave,
Tu viens d’exécuter tout ce qu’on a prévu :
Gustave a triomphé sitôt qu’il a paru.
On t’admire aujourd’hui, cher prince, autant qu’on t’aime.
Tu viens de ressaisir les droits du diadème[3].

  1. Allusion au drame de Sedaine.
  2. Sur le coup d’État que fit ce prince contre son sénat.

    — La révolution de Suède est du 19 auguste 1772. L’épître au roi de Suède ne peut donc être au plus tôt que de septembre.

  3. La question ne se réduit pas à savoir si le peuple suédois était réellement opprimé par le sénat : dans ce cas on peut, sans doute, excuser la révolution ; mais elle n’en devient pas plus juste. L’abus qu’un autre fait d’un pouvoir même usurpé ne me donne pas le droit de m’en emparer. (K.)