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DICTIONNAIRE


PHILOSOPHIQUE






ESPACE[1].


Qu’est-ce que l’espace ? Il n’y a point d’espace, point de vide, disait Leibnitz après avoir admis le vide ; mais quand il l’admettait, il n’était pas encore brouillé avec Newton ; il ne lui disputait pas encore le calcul des fluxions, dont Newton était l’inventeur. Quand leur dispute eut éclaté, il n’y eut plus de vide, plus d’espace pour Leibnitz.

Heureusement, quelque chose que disent les philosophes sur ces questions insolubles ; que l’on soit pour Épicure, pour Gassendi, pour Newton ou pour Descartes et Rohault, les règles du mouvement seront toujours les mêmes ; tous les arts mécaniques seront exercés, soit dans l’espace pur, soit dans l’espace matériel.

Que Rohault vainement sèche pour concevoir
Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir.

(Boileau, ép. v, 31-32.)

cela n’empêchera pas que nos vaisseaux n’aillent aux Indes, et que tous les mouvements ne s’exécutent avec régularité, tandis que Rohault séchera. L’espace pur, dites-vous, ne peut être ni matière ni esprit ; or il n’y a dans le monde que matière et esprit : donc il n’y a point d’espace.

Eh ! messieurs, qui nous a dit qu’il n’y a que matière et esprit, à nous qui connaissons si imparfaitement l’un et l’autre ? Voilà une plaisante décision : « Il ne peut être dans la nature que deux choses, lesquelles nous ne connaissons pas. » Du moins Montézume raisonnait plus juste dans la tragédie anglaise de Dryden : « Que venez-vous me dire au nom de l’empereur Charles-Quint ? il

  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)