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FEMME.

retraite chez lui à quatre jolies filles en qualité de ses légitimes épouses, et pour ne pas les traiter selon leurs mérites !

« Comment donc sont faits dans ton pays la trompette du jour, que tu appelles coq, l’honnête bélier, prince des troupeaux, le taureau, souverain des vaches ? Chacun d’eux n’a-t-il pas son sérail ? Il te sied bien vraiment de me reprocher mes quatre femmes, tandis que notre grand prophète en a eu dix-huit, David le Juif autant, et Salomon le Juif sept cents de compte fait, avec trois cents concubines ! Tu vois combien je suis modeste. Cesse de reprocher la gourmandise à un sage qui fait de si médiocres repas. Je te permets de boire ; permets-moi d’aimer. Tu changes de vins, souffre que je change de femmes. Que chacun laisse vivre les autres à la mode de leur pays. Ton chapeau n’est point fait pour donner des lois à mon turban ; ta fraise et ton petit manteau ne doivent point commander à mon doliman. Achève de prendre ton café avec moi, et vas-t’en caresser ton Allemande, puisque tu es réduit à elle seule. »


Réponse de l’Allemand.


« Chien de musulman, pour qui je conserve une vénération profonde, avant d’achever mon café je veux confondre tes propos. Qui possède quatre femmes possède quatre harpies, toujours prêtes à se calomnier, à se nuire, à se battre : le logis est l’antre de la Discorde. Aucune d’elles ne peut t’aimer : chacune n’a qu’un quart de ta personne, et ne pourrait tout au plus te donner que le quart de son cœur. Aucune ne peut te rendre la vie agréable : ce sont des prisonnières qui, n’ayant jamais rien vu, n’ont rien à te dire. Elles ne connaissent que toi : par conséquent tu les ennuies. Tu es leur maître absolu : donc elles te haïssent. Tu es obligé de les faire garder par un eunuque, qui leur donne le fouet quand elles ont fait trop de bruit. Tu oses te comparer à un coq ! mais jamais un coq n’a fait fouetter ses poules par un chapon. Prends tes exemples chez les animaux ; ressemble-leur tant que tu voudras : moi, je veux aimer en homme ; je veux donner tout mon cœur, et qu’on me donne le sien. Je rendrai compte de cet entretien ce soir à ma femme, et j’espère qu’elle en sera contente. À l’égard du vin que tu me reproches, apprends que s’il est mal d’en boire en Arabie, c’est une habitude très-louable en Allemagne. Adieu. »