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ESPRIT.

jargon qui en ait l’apparence. » (Ce n’est pas leur faire honneur ; elles méritent mieux.) « L’entendement est de mise avec les politiques et les courtisans. »

Il me semble que l’entendement est nécessaire partout, et qu’il est bien extraordinaire de voir un entendement de mise.

« Le génie est propre avec les gens à projets et à dépense. »

Ou je me trompe, ou le génie de Corneille était fait pour tous les spectateurs, le génie de Bossuet pour tous les auditeurs, encore plus que propre avec les gens à dépense.

Le mot qui répond à spiritus, esprit, vent, souffle, donnant nécessairement à toutes les nations l’idée de l’air, elles supposèrent toutes que notre faculté de penser, d’agir, ce qui nous anime, est de l’air ; et de là notre âme fut de l’air subtil.

De là les mânes, les esprits, les revenants, les ombres, furent composés d’air[1].

De là nous disions, il n’y a pas longtemps : « Un esprit lui est apparu ; il a un esprit familier ; il revient des esprits dans ce château ; » et la populace le dit encore.

Il n’y a guère que les traductions des livres hébreux en mauvais latin qui aient employé le mot spiritus en ce sens.

Manes, umbræ, simulacra, sont les expressions de Cicéron et de Virgile. Les Allemands disent geist, les Anglais ghost, les Espagnols duende, trasgo ; les Italiens semblent n’avoir point de terme qui signifie revenant. Les Français seuls se sont servis du mot esprit. Le mot propre, pour toutes les nations, doit être fantôme, imagination, rêverie, sottise, friponnerie.


SECTION IV[2].


Bel esprit, esprit.


Quand une nation commence à sortir de la barbarie, elle cherche à montrer ce que nous appelons de l’esprit.

Ainsi, aux premières tentatives qu’on fit sous François Ier, vous voyez dans Marot des pointes, des jeux de mots qui seraient aujourd’hui intolérables.

Romorentin sa perte remémore,
Cognac s’en cogne en sa poitrine blême,
Anjou fait joug, Angoulême est de même[3].

  1. Voyez l’article Âme. (Note de Voltaire.)
  2. En 1771, seconde section, dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  3. Marot, Complainte de madame Loyse de Savoye.