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FABLE.

voyer sur ce qu’il souffle d’abord dans ses doigts parce qu’il a trop froid, et qu’ensuite, en prenant l’écuelle aux dents, il souffle sur son potage, qui est trop chaud. L’homme avait très-grande raison, et le satyre était un sot. D’ailleurs on ne prend point l’écuelle avec les dents.

Mère écrevisse, qui reproche à sa fille de ne pas aller droit[1]et la fille qui lui répond que sa mère va tortu, n’a point paru une fable agréable.

Le buisson et le canard en société avec une chauve-souris[2] pour des marchandises, « ayant des comptoirs, des facteurs, des agents, payant le principal et les intérêts, et ayant des sergents à leur porte », n’a ni vérité, ni naturel, ni agrément.

Un buisson qui sort de son pays avec une chauve-souris pour aller trafiquer est une de ces imaginations froides et hors de la nature, que La Fontaine ne devait pas adopter.

Un logis plein de chiens et de chats, « vivant entre eux comme cousins[3] et se brouillant pour un pot de potage », semble bien indigne d’un homme de goût.

La pie-margot-caquet-bon-bec[4] est encore pire ; l’aigle lui dit qu’elle n’a que faire de sa compagnie, parce qu’elle parle trop. Sur quoi La Fontaine remarque qu’il faut à la cour porter habit de deux paroisses.

Que signifie un milan présenté par un oiseleur à un roi, auquel il prend le bout du nez avec ses griffes[5] ?

Un singe qui avait épousé une fille parisienne[6] et qui la battait est un très-mauvais conte qu’on avait fait à La Fontaine, et qu’il eut le malheur de mettre en vers.

De telles fables et quelques autres pourraient sans doute justifier Boileau : il se pouvait même que La Fontaine ne sût pas distinguer ses mauvaises fables des bonnes.

Mme  de La Sablière appelait La Fontaine un fablier, qui portait naturellement des fables, comme un prunier des prunes. Il est vrai qu’il n’avait qu’un style, et qu’il écrivait un opéra de ce même style dont il parlait de Janot Lapin et de Rominagrobis. Il dit dans l’opéra de Daphné :

J’ai vu le temps qu’une jeune fillette
Pouvait sans peur aller au bois seulette :

  1. Livre XII, fable x.
  2. Livre XII, fable vii.
  3. Livre XII, fable viii.
  4. Livre XII, fable xi.
  5. Livre XII, fable xii.
  6. Livre XII, fable xix. Voyez dans les Mélanges, année 1764, le Discours aux Welches.