Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
FANATISME.

mœurs dépravées : c’était un des prédicateurs de Paris les plus courus, et un des convertisseurs les plus acharnés.

Tel était le célèbre curé de Versailles Fantin. Cette liste pourrait être longue ; mais il ne faut pas révéler les fredaines de certaines personnes constituées en certaines places. Vous savez ce qui arriva à Cham pour avoir révélé la turpitude de son père ; il devint noir comme du charbon.

Prions Dieu seulement, en nous levant et en nous couchant, qu’il nous délivre des fanatiques, comme les pèlerins de la Mecque prient Dieu de ne point rencontrer de visages tristes sur leur chemin.


SECTION IV.[1]


Ludlow, enthousiaste de la liberté plutôt que fanatique de religion, ce brave homme qui avait plus de haine pour Cromwell que pour Charles Ier rapporte que les milices du parlement étaient toujours battues par les troupes du roi, dans le commencement de la guerre civile, comme le régiment des portes-cochères ne tenait pas, du temps de la Fronde, contre le grand Condé. Cromwell dit au général Fairfax : « Comment voulez-vous que des portefaix de Londres et des garçons de boutique indisciplinés résistent à une noblesse animée par le fantôme de l’honneur ? Présentons-leur un plus grand fantôme, le fanatisme. Nos ennemis ne combattent que pour le roi ; persuadons à nos gens qu’ils font la guerre pour Dieu. Donnez-moi une patente, je vais lever un régiment de frères meurtriers, et je vous réponds que j’en ferai des fanatiques invincibles. »

Il n’y manqua pas, il composa son régiment des frères rouges de fous mélancoliques ; il en fit des tigres obéissants. Mahomet n’avait pas été mieux servi par ses soldats.

Mais pour inspirer ce fanatisme, il faut que l’esprit du temps vous seconde. Un parlement de France essayerait en vain aujourd’hui de lever un régiment de portes-cochères ; il n’ameuterait pas seulement dix femmes de la halle.

Il n’appartient qu’aux habiles de faire des fanatiques et de les conduire ; mais ce n’est pas assez d’être fourbe et hardi, nous avons déjà vu que tout dépend de venir au monde à propos[2].

  1. Section iii et dernière des Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)
  2. Voyez la fin de la septième des Lettres philosophiques (Mélanges, année 1734, et aussi l’article À propos, dans le Dictionnaire philosophique.