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LETTRES SUR ŒDIPE.

nous ne menions des danses en votre honneur, pour vous rendre grâces du plaisir que vous aurez fait à nos princes. Et vous, prince, duquel des dieux êtes-vous donc fils ? Quelle nymphe vous a eu de Pan, dieu des montagnes ? Êtes-vous le fruit des amours d’Apollon ? car Apollon se plaît aussi sur les montagnes. Est-ce Mercure ou Bacchus, qui se tient aussi sur les sommets des montagnes ? etc. »

Enfin celui qui a autrefois exposé Œdipe arrive sur la scène. Œdipe l’interroge sur sa naissance ; curiosité que M. Dacier condamne après Plutarque, et qui me paraîtrait la seule chose raisonnable qu’Œdipe eût faite dans toute la pièce, si cette juste envie de se connaître n’était pas accompagnée d’une ignorance ridicule de lui-même.

Œdipe sait donc enfin tout son sort au quatrième acte. Voilà donc encore la pièce finie.

M. Dacier, qui a traduit l’Œdipe de Sophocle, prétend que le spectateur attend avec beaucoup d’impatience le parti que prendra Jocaste, et la manière dont Œdipe accomplira sur lui-même les malédictions qu’il a prononcées contre le meurtrier de Laïus. J’avais été séduit là-dessus par le respect que j’ai pour ce savant homme, et j’étais de son sentiment lorsque je lus sa traduction. La représentation de ma pièce m’a bien détrompé ; et j’ai reconnu qu’on peut sans péril louer tant qu’on veut les poëtes grecs, mais qu’il est dangereux de les imiter.

J’avais pris dans Sophocle une partie du récit de la mort de Jocaste et de la catastrophe d’Œdipe. J’ai senti que l’attention du spectateur diminuait avec son plaisir au récit de cette catastrophe : les esprits, remplis de terreur au moment de la reconnaissance, n’écoutaient plus qu’avec dégoût la fin de la pièce. Peut-être que la médiocrité des vers en était la cause : peut-être que le spectateur, à qui cette catastrophe est connue, regrettait de n’entendre rien de nouveau ; peut-être aussi que la terreur ayant été poussée à son comble, il était impossible que le reste ne parût languissant. Quoi qu’il en soit, je me suis cru obligé[1] de retrancher ce récit, qui n’était pas de plus de quarante vers ; et dans Sophocle, il tient tout le cinquième acte. Il y a grande apparence qu’on ne doit point passer à un ancien deux ou trois cents vers inutiles, lorsqu’on n’en passe pas quarante à un moderne.

M. Dacier avertit dans ses notes que la pièce de Sophocle n’est point finie au quatrième acte. N’est-ce pas avouer qu’elle est finie que d’être obligé de prouver qu’elle ne l’est pas ? On ne se trouve

  1. Toutes les éditions du vivant de l’auteur portent : « j’ai été obligé ». (B.)