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MARTYRS.

dont on n’est pas. On a établi des peines très-graves contre ceux qui osent se décorer de la croix de Malte ou de Saint-Louis sans être chevaliers de ces ordres.

Le savant Dodwell, l’habile Middleton, le judicieux Blondel, l’exact Tillemont, le scrutateur Launoy, et beaucoup d’autres, tous zélés pour la gloire des vrais martyrs, ont rayé de leur catalogue une multitude d’inconnus à qui l’on prodiguait ce grand nom. Nous avons observé[1] que ces savants avaient pour eux l’aveu formel d’Origène, qui, dans sa Réfutation de Celse, avoue qu’il y a eu peu de martyrs, et encore de loin à loin, et qu’il est facile de les compter.

Cependant le bénédictin Ruinart, qui s’intitule dom Ruinart, quoiqu’il ne soit pas Espagnol, a combattu tant de savants personnages. Il nous a donné avec candeur beaucoup d’histoires de martyrs qui ont paru fort suspectes aux critiques. Plusieurs bons esprits ont douté de quelques anecdotes concernant les légendes rapportées par dom Ruinart, depuis la première jusqu’à la derière.

Sainte Symphorose et ses sept enfants.

Les scrupules commencent par sainte Symphorose et ses sept enfants martyrisés avec elle, ce qui paraît d’abord trop imité des sept Machabées. On ne sait pas d’où vient cette légende, et c’est déjà un grand sujet de doute.

On y rapporte que l’empereur Adrien voulut interroger lui-même l’inconnue Symphorose, pour savoir si elle n’était pas chrétienne. Les empereurs se donnaient rarement cette peine. Cela serait encore plus extraordinaire que si Louis XIV avait fait subir un interrogatoire à un huguenot. Vous remarquerez encore qu’Adrien fut le plus grand protecteur des chrétiens, loin d’être leur persécuteur.

Il eut donc une très-longue conversation avec Symphorose ; et, se mettant en colère, il lui dit : Je te sacrifierai aux dieux ; comme si les empereurs romains sacrifiaient des femmes dans leurs dévotions. Ensuite il la fit jeter dans l’Anio, ce qui n’était pas un sacrifice ordinaire. Puis il fit fendre un de ses fils par le milieu du front jusqu’au pubis, un second par les deux côtés ; on roua un troisième, un quatrième ne fut que percé dans l’esto-

  1. Voyez l’article Église, tome XVIII ; dans les Mélanges, année 1763, le chapitre ix du Traité sur la Tolérance, et année 1769, le paragraphe x de l’opuscule de la Paix perpétuelle.