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MARTYRS.

-il, j’ai encore chez moi la langue que j’ai coupée à cet homme ; ordonnez qu’on m’en donne un qui ne soit pas comme celui-ci sous une protection particulière de Dieu ; permettez que je lui coupe la langue jusqu’à l’endroit où celle-ci a été coupée ; s’il n’en meurt pas, je consens qu’on me fasse mourir moi-même. » Là-dessus on fait venir un homme condamné à mort : et le médecin, ayant pris la mesure sur la langue de Romain, coupe à la même distance celle du criminel : mais à peine avait-il retiré son rasoir que le criminel tombe mort. Ainsi le miracle fut avéré, à la gloire de Dieu et à la consolation des fidèles. »

Voilà ce que dom Ruinart raconte sérieusement. Prions Dieu pour le bon sens de dom Ruinart.

SECTION II[1].

Comment se peut-il que dans le siècle éclairé où nous sommes, on trouve encore des écrivains savants et utiles qui suivent pourtant le torrent des vieilles erreurs, et qui gâtent des vérités par des fables reçues ? Ils comptent encore l’ère des martyrs de la première année de l’empire de Dioclétien, qui était alors bien éloigné de martyriser personne. Ils oublient que sa femme Prisca était chrétienne ; que les principaux officiers de sa maison étaient chrétiens. qu’il les protégea constamment pendant dix-huit années ; qu’ils bâtirent dans Nicomédie une église plus somptueuse que son palais, et qu’ils n’auraient jamais été persécutés s’ils n’avaient outragé le césar Galerius.

Est-il possible qu’on ose redire encore que Dioclétien mourut, de rage, de désespoir et de misère, lui qu’on vit quitter la vie en philosophe comme il avait quitté l’empire ; lui qui, sollicité de reprendre la puissance suprême, aima mieux cultiver ses beaux jardins de Salone que de régner encore sur l’univers alors connu ?

Ô compilateurs ! ne cesserez-vous point de compiler ? Vous avez utilement employé vos trois doigts : employez plus utilement votre raison.

Quoi ! vous me répétez que saint Pierre régna sur les fidèles à Rome pendant vingt-cinq ans, et que Néron le fit mourir la dernière année de son empire, lui et saint Paul, pour venger la mort de Simon le Magicien, à qui ils avaient cassé les jambes par leurs prières !

  1. Voyez la note, page 36.