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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

-être poussée trop loin, en fait le principal caractère. Ses farces ont le défaut d’être quelquefois un peu trop basses, et ses comédies, de n’être pas toujours assez intéressantes ; mais, avec tous ces défauts-là, il sera toujours le premier de tous les poëtes comiques. Depuis lui, le théâtre français s’est soutenu, et même a été asservi à des lois de décence plus rigoureuses que du temps de Molière. On n’oserait aujourd’hui hasarder la scène où le Tartuffe presse la femme de son hôte ; on n’oserait se servir des termes de fils de putain, de carogne, et même de cocu : la plus exacte bienséance règne dans les pièces modernes. Il est étrange que tant de régularité n’ait pu laver encore cette tache, qu’un préjugé très-injuste attache à la profession de comédien. Ils étaient honorés dans Athènes, où ils représentaient de moins bons ouvrages. Il y a de la cruauté à vouloir avilir des hommes nécessaires à un État bien policé, qui exercent, sous les yeux des magistrats, un talent très-difficile et très-estimable ; mais c’est le sort de tous ceux qui n’ont que leur talent pour appui, de travailler pour un public ingrat.

On demande pourquoi Molière, ayant autant de réputation que Racine, le spectacle cependant est désert quand on joue ses comédies, et qu’il ne va presque plus personne à ce même Tartuffe qui attirait autrefois tout Paris, tandis qu’on court encore avec empressement aux tragédies de Racine, lorsqu’elles sont bien représentées ? C’est que la peinture de nos passions nous touche encore davantage que le portrait de nos ridicules ; c’est que l’esprit se lasse des plaisanteries, et que le cœur est inépuisable. L’oreille est aussi plus flattée de l’harmonie des beaux vers tragiques et de la magie étonnante du style de Racine qu’elle ne peut l’être du langage propre à la comédie; ce langage peut plaire, mais il ne peut jamais émouvoir, et l’on ne vient au spectacle que pour être ému.

Il faut encore convenir que Molière, tout admirable qu’il est dans son genre, n’a ni des intrigues assez attachantes, ni des dénoûments assez heureux : tant l’art dramatique est difficile !



FIN DE LA VIE DE MOLIÈRE, ETC.