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FRAGMENT SUR LE PROCÈS DE MONTBAILLI.

accepta la mort comme une expiation de ses fautes, en attestant Dieu qu’il était incapable du crime dont on l’accusait. Deux moines qui l’exhortaient, et qui semblaient plutôt des sergents que des consolateurs, le pressaient, dans les intervalles des coups de barre, d’avouer son crime. Il leur dit : « Pourquoi vous obstinez-vous à me presser de mentir ? Prenez-vous devant Dieu ce crime sur vous ? Laissez-moi mourir innocent. »

Tous les assistants fondaient en larmes et éclataient en sanglots. Ce même peuple qui avait poursuivi sa mort l’appelait le saint, le martyr ; plusieurs recueillirent ses cendres.

Cependant le bûcher dans lequel cette vertueuse victime expira devait bientôt se rallumer pour sa femme. Elle avançait dans sa grossesse, et les cris de la ville de Saint-Omer ne l’auraient pas sauvée. Informés de cette catastrophe, nous prîmes la liberté d’envoyer un mémoire au chef suprême de toute la magistrature de France[1]. Ses lumières et son équité avaient déjà prévenu notre requête. Il remit la révision du procès entre les mains d’un nouveau conseil établi dans Arras[2].

Ce tribunal déclara Montbailli et sa femme innocents. L’avocat qui avait pris leur défense ramena en triomphe la veuve dans sa patrie ; mais le mari était mort par le plus horrible supplice, et son sang crie encore vengeance. Ces exemples ont été si fréquents qu’il n’a pas paru plus nécessaire de mettre un frein aux crimes qu’à la cruauté arbitraire des juges.

On s’est flatté qu’enfin le grand projet de Louis XIV de réformer la jurisprudence pourrait être exécuté ; que les lumières naissantes de ce siècle mémorable, augmentées par celles du nôtre, répandraient un jour plus favorable sur l’humanité. On a dit : Nous verrons le temps où les lois seront plus claires et plus uniformes, où les juges motiveront leurs arrêts, où un seul homme n’interrogera plus secrètement un autre homme, et ne se rendra plus le seul maître de ses paroles, de ses pensées, de sa vie et de sa mort ; où les peines seront proportionnées aux délits ; où les tortures, inventées autrefois par des voleurs, ne seront plus mises en usage au nom des princes. On forme encore ces vœux : celui qui les remplira sera béni du siècle présent et de la postérité.


FIN DU FRAGMENT SUR LE PROCÈS, ETC.
  1. Le chancelier Maupeou ; voyez tome XXVIII, page 434.
  2. Voyez tome XVI, page 108 ; et XXVIII, 397.