Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
FRAGMENT

pêcher les voleurs arabes de venir piller son pays. S’il construisit ce mur pour n’être point volé, c’est une grande présomption qu’il n’alla pas lui-même voler les autres nations, et conquérir la moitié du monde pour son plaisir, sans se soucier de la gouverner, comme nous l’assure M. Larcher, répétiteur au collége Mazarin.

Nous ne croyons pas un mot de ce qu’on nous dit d’une muraille bâtie par les Juifs, commençant au port de Joppé, qui ne leur appartenait point, jusqu’à une ville inconnue nommée Carpasabé, tout le long de la mer, pour empêcher un roi Antiochus de s’avancer contre eux par terre. Nous laissons là tous ces retranchements, toutes ces lignes qui ont été d’usage chez tous les peuples ; mais il faut convenir que la grande muraille de la Chine est un des monuments qui font le plus d’honneur à l’esprit humain. Il fut entrepris trois cents ans avant notre ère : la vanité ne le construisit pas comme elle bâtit les pyramides. Les Chinois n’imitèrent point les Huns, qui élevèrent des palissades de pieux et de terre pour s’y retirer après avoir pillé leurs voisins. L’esprit de paix seul imagina la grande muraille. Il est certain que la Chine, gouvernée par les lois, ne voulut qu’arrêter les Tartares, qui ne connaissaient que le brigandage. C’est encore une preuve que la Chine n’avait point été peuplée par des Tartares, comme on l’a prétendu. Les mœurs, la langue, les usages, la religion, le gouvernement, étaient trop opposés. La grande muraille fut admirable et inutile : le courage et la discipline militaire eussent été des remparts plus assurés.

M. de Pauw a beau regarder avec des yeux de mépris tous les ouvrages de la Chine, il n’empêchera pas que le grand canal, fait de main d’homme, dans la longueur de cent soixante de nos grandes lieues, et les autres canaux qui traversent ce vaste empire, ne soient un exemple qu’aucune nation n’a pu encore imiter : les Romains même ne tentèrent jamais une telle entreprise.


ARTICLE III.


De la population de la Chine, et des mœurs.


Voilà donc deux travaux immenses qui n’ont pour but que l’utilité publique : la grande muraille, qui devait défendre l’empire chinois, et les canaux, qui favorisent son commerce. Joignons-y un avantage encore plus grand, celui de la population, qui ne peut être que le fruit de l’aisance et de la sûreté de chaque ci-