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FRAGMENT

lettres de M. d’Avaux au roi, et ses réponses ; il n’y a certainement pas un mot de ce que cet homme avance.

Comment peut-il être assez ignorant de tous les usages et de toutes les choses dont il parle pour dire qu’au temps de la révocation de l’édit de Nantes[1], « le roi étant à la promenade en carrosse avec Mme de Maintenon, Mlle d’Armagnac, et M. Fagon, son premier médecin, la conversation tomba sur les vexations faites aux huguenots, etc. » ? Assurément ni Louis XIV ni Louis XV n’ont été en carrosse à la promenade, ni avec leur médecin ni avec leur apothicaire. Fagon, d’ailleurs, ne fut premier médecin du roi qu’en 1693. À l’égard de la princesse d’Armagnac dont il parle, elle était née en 1678, et, n’ayant alors que sept ans, elle ne pouvait aller familièrement en carrosse à une promenade avec le roi et Fagon, en 1685.

C’est avec la même érudition de cour qu’il dit que le P. Ferrier « se fit donner la feuille des bénéfices qu’avait auparavant le premier valet de chambre » ; que l’archevêque de Paris dressa l’acte de célébration du mariage du roi avec Mme de Maintenon, et qu’à sa mort on trouva sous la clef « quantité de vieilles culottes, dans l’une desquelles était cet acte[2] ».

Il connaît l’histoire ancienne comme la moderne. Pour justifier le mariage du roi avec Mme de Maintenon, il dit[3] que « Cléopâtre, déjà vieille, enchaîna Auguste ».

Chaque page est une absurdité ou une imposture. Il réclame le témoignage de Burnet, évêque de Salisbury, et lui fait dire joliment que « Guillaume III, roi d’Angleterre, n’aimait que les portes de derrière ». Jamais Burnet n’a dit cette infamie ; il n’y a pas un seul mot dans aucun de ses ouvrages qui puisse y avoir le moindre rapport.

S’il se bornait à dire au hasard des inepties sur des choses indifférentes, on aurait pu l’abandonner au mépris dont les auteurs de pareilles indignités sont couverts ; mais qu’il ose dire que Monseigneur le duc de Bourgogne, père du roi, trahit le royaume dont il était héritier[4], « et qu’il empêcha que Lille ne fût secourue », lorsque cette place était assiégée par le prince Eugène, c’est un crime que les bons Français doivent au moins réprimer, et une calomnie ridicule qu’un historiographe de France serait coupable de ne pas réfuter.

  1. Mémoires de Maintenon, tome III, page 36. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., page 48. (Id.)
  3. Ibid., page 73. (Id.)
  4. Ibid., tome IV, page 109. (Id.)