Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/127

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S’il s’éleve parmi vous un prophete, qui dise avoir eu des visions et des songes, et s’il prédit des signes et des miracles, et si les choses qu’il aura prédites arrivent, et qu’il vous dise, allons, suivons des dieux étrangers que vous ne connaissez pas, et servons-les ; vous n’écouterez pas ce prophete, ce songeur de songes ; car c’est le seigneur votre dieu qui vous tente, afin qu’il voie si vous l’aimez ou non de toute votre ame… ce prophête ou ce songeur de songes sera mis à mort. Si votre frere fils de votre mere, ou votre fils, ou votre fille, ou votre femme qui est entre vos bras, vous dit en secret, allons, servons des dieux étrangers ; tuez aussi-tôt votre frere, ou votre fils, ou votre femme ; qu’ils reçoivent le premier coup de votre main, et que tout le peuple frappe après vous [1]. Si vous apprenez que dans une de vos villes des gens méchants ont dit, allons, servons des dieux à vous inconnus ; vous passerez aussi-tôt au fil de l’épée tous les habitans de cette ville, et vous la détruirez avec tout ce qu’elle possede, jusqu’aux bêtes[2]

  1. le premier président de Harley sachant qu’on avait abusé de ce passage de l’écriture, et de quelques autres passages pareils, pour faire assassiner Henri Iii par le jacobin Jacques Clément, écrivit dans un petit mémoire, qui nous a été montré par un magistrat de sa maison, ces propres mots. " il seroit expédient de ne laisser lire aux jeunes prêtres aucun des livres de l’ancien testament, dans lesquels pourroient se rencontrer semblables instigations, qui ont induit maints esprits foibles et méchants au parricide et régicide. Il vaut mieux ne point lire, que de tourner en poison ce qui doit être nourriture de vie. " on peut appliquer à ce passage du deutéronome la réflexion du président de Harley. Il est aisé à un fanatique de se persuader que sa femme et son fils veulent le faire apostasier ; et s’il les tue sur ce prétexte, il se croira un saint. Ravaillac avoue dans son interrogatoire qu’il n’a assassiné Henri Iv que parce qu’il ne croyait pas que ce grand et adorable monarque fût bon catholique. On a cru voir encore un autre danger dans ces versets du deutéronome, et le voici. Si un prophete prédit des choses miraculeuses, et si ces choses miraculeuses arrivent, c’est donc la divinité elle-même qui l’a inspiré. Et s’il vous dit ensuite : je suis autorisé par mes miracles à vous prêcher le culte d’un nouveau dieu, ce nouveau dieu est donc le véritable. Cet argument, sans doute, n’est pas aisé à réfuter, à moins que vous ne disiez qu’un frippon scélérat peut faire de véritables miracles. Mais alors vous faites un dieu de ce frippon scélérat. Et s’il est votre pere ou votre frere, comme vous le supposez, si vous le tuez vous commettez non seulement un parricide, mais un déicide. Vous n’avez plus d’autre réponse à faire, que d’avoir recours à la magie, et de dire qu’il est au pouvoir des prétendus magiciens de faire de vrais miracles. Ainsi, quelque chose que vous répondiez, vous êtes absurde et barbare. Cette objection est spécieuse. On la résout en disant, que Dieu ne permet jamais qu’un faux prophete fasse autant de miracles qu’un vrai prophete.
  2. le Lord Bolingbroke parle sur cet article avec plus de force encore que le président de Harley. " c’est le comble, dit-il, de la barbarie en démence, de