Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/279

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Le prophete, au lieu d’obéir, voulut s’enfuir à Tharsis[1] en Cilicie ; mais il s’embarque au petit port de Joppe, encore plus éloigné du lieu de sa mission. Il se jette dans une barque. Une tempête horrible survient. Cette tempête endort Jonas. Les mariniers le prient d’invoquer son dieu pour appaiser l’orage. Jonas n’en fait rien. Alors les matelots jettent le sort pour savoir qui on doit précipiter dans la mer, ne doutant pas que ce ne soit un secret infaillible pour appaiser les vents. Le sort tombe sur Jonas ; on le jette dans l’eau, et la tempête cesse dans le même instant : ce qui inspire un grand respect aux matelots de Joppe pour le dieu de Juda, sans qu’ils se convertissent. Le seigneur envoie dans le moment un grand poisson qui avale Jonas, et qui le garde trois jours et trois nuits dans son ventre. Jonas, étant dans les entrailles de cet animal, chante un cantique assez long au seigneur ; et le seigneur ordonne au poisson de rendre Jonas et de le rejetter sur le rivage. Le poisson obéit. Les critiques incrédules prétendent que tout ce récit est une fable prise des fables grecques. Homere dans son livre 20, parle du monstre marin qui se jetta sur Hercule. Lycophron raconte qu’Hercule resta trois jours et trois nuits dans son ventre ; qu’il se nourrit de son foie après l’avoir mis sur le gril ; qu’au bout de trois jours, il sortit de sa prison en victorieux, et qu’ensuite il passa la mer dans son gobelet pour aller d’Espagne en Mauritanie. La mission d’Hercule avait été toute autre que celle de Jonas. Le prophete hébreu devait prêcher dans Ninive, et Hercule, bien inférieur à Jonas, devait délivrer Hésione fille de Priam exposée à un chien marin. Cette délivrance fut mise au rang des plus beaux travaux de ce héros, lesquels surpassent de beaucoup le nombre de douze qu’on lui attribue. La fable d’Arion jetté dans la mer par des mariniers, et sauvé des flots par un de ces marsouins appellés par nous dauphins, qui le porta sur son dos dans Lesbos sa patrie, paraît moins absurde, parce qu’en effet quelques naturalistes ont prétendu qu’on pouvait apprivoiser les dauphins ; mais ils n’ont jamais dit qu’on pût rester trois jours et trois nuits dans le ventre d’un poisson, et griller son foie pendant ce temps-là.

  1. « Le mot Tharsis, employé jusqu’à douze fois dans l’Ancien Testament, et point dans le Nouveau, dit Renouard, y signifie toujours la mer, et nullement une ville, une contrée. Voltaire a ici, et plusieurs fois encore, confondu ce mot avec Tarsus, Tarse, ville de Cilicie, fort connue, patrie de saint Paul, et qui subsiste encore. »