Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/555

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passion, n’avaient pas examiné ces deux auteurs. Il est très-commun de lire, et très-rare de lire avec fruit.

Vers 47. Mais lorsqu’un digne objet a pu nous enflammer,
Qui le cède est un lâche et ne sait pas aimer.

Cette maxime n’est-elle pas encore plus convenable à un berger qu'a un prince? Qui cède sa maitresse est un lâche, et ne sait pas aimer, et qui cède un trône est un grand cœur. Avouons que ni dans Cyrus ni dans Clèlie^ on ne trouve point de sentences amoureuses d’une semblable afféterie. Louis Racine, fils de l’immortel Jean Racine, s’élève avec force contre ces idées dans son Traité de la Poésie, page 355, et ajoute : « La femme qui mérite ce grand sacrifice est cependant une femme très-peu estimable; et l’on peut remarquer que, dans les tragédies de Corneille, toutes ces femmes adorées par leurs amants sont, par les qualités de leur âme, des femmes très-communes : ce n’est que par la beauté que Cléopàtre captive César, et qu’Emilie a tout empire sur Cinna, »

Cet auteur judicieux en excepte sans doute Pauline, qui immole si noblement son amour à son devoir.

Ajoutons à cette remarque que les deux frères disent leurs secrets devant deux subalternes, et que Timagène est le confident des amours des deux frères. Comment ces deux frères, qui sont si unis, ne se sont-ils pas avoué ce qu’ils ont avoué à un domestique ?

Vers 65. Ces deux sièges fameux do Thèbes et de Troie…

Les citations des sièges de Troie et de Thèbes sont peut-être étrangères à ce qui se passe. Ne pourrait-on pas dire : Non erat his exemplis, his sermonibus locus-?

Vers 60. Qui mirent l’une en sang, l’autre aux flammes en proie...

On ne met point en sang une ville ; on ne la met point en proie : on la livre, on l’abandonne en proie.

Vers 74. Tout va choir en ma main, ou tomber dans la vôtre.

Le mot de choir, même du temps de Corneille, ne pouvait être employé pour tomber en partage.

Vers 81 . Que de sources de haine ! hélas ! jugez le reste.

Jugez du reste était l’expression propre ; mais elle n’en est pas plus digne de la tragédie. Juger quelque chose, c’est porter un arrêt ; juger de quelque chose, c’est dire son sentiment,

1. Romans de Mlle  Scudéri, 1650 et 1656.

2. Horace, Art poétique, 19.