Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/20

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On m’a flatté de l’espérance de vous revoir au mois d’aoust, je croy que vous aurez la bonté de me le faire sçavoir ; je ferois volontiers un voyage en Bourgogne[1] pour vous dire de bouche tout ce que je vous écris ; votre départ m’avoit si fort désorienté que je n’eus ny l’esprit ni la force de vous parler, lorsque vous me vîntes dire adieu ; et le soir que je soutins ma thèse, je répondis aussi mal aux argumentans qu’à l’honnesteté que vous me fistes : comme dans peu je soutiendray encor, j’aurois grand besoin de vous voir pour me remettre un peu. Ma lettre à ce que je vois est assez à bastons rompus, et pour continuer sur le mesme ton je vous diray que M. l’abbé Poirier[2], qui vient de me faire une répétition, est venu frapper deux fois à votre porte, ne se souvenant plus que vous n’étiez point icy, et s’est apparemment impatienté que vous ne luy ouvrissiez point ; il m’a chargé de vous faire force compliments, et pareillement le rév. père Polou.

Au reste cette lettre cy n’est que la préface des autres, et je prétends vous écrire toutes les semaines sur un ton un peu plus guay que celui-cy. En attendant, je suis et seray toujours avec un profond respect et toute l’amitié possible votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Arouet.


2[3]. — À M. FYOT DE LA MARCHE.

À Paris, ce 23 du mois de may[4].

Monsieur, tout frais moulu d’une retraite[5], tout nouvellement débarqué du noviciat, muny de cinquante sermons, je viens pour surcroît de consolations de recevoir votre lettre : je vous fais réponse en m’endormant, mais fort éveillé sur votre chapitre. Ma solitude de 8 jours m’apprend à être icy un peu solitaire ; mais que je renoncerois volontiers à cette vie monastique pour avoir le bonheur de vous voir ! Car enfin, lorsqu’on est seul, outre qu’on est

  1. À Dijon ou au château de la Marche en Bresse, arrondissement de Châlon-sur-Saône, qui appartenait au président Fyot de La Marche. (H. B.)
  2. Nous n’avons pu découvrir dans les mémoires du temps le moindre renseignement sur cet abbé Poirier, répétiteur de Voltaire. Un sieur Henri Poirier a publié en 1703 un petit volume in-12 sous le nom de Projet pour l’histoire du père Maignan et la doctrine de ce philosophe. Est-ce le même ? (H. B.)
  3. Publiée dans Voltaire au collége.
  4. 1711.
  5. Les jésuites donnaient de fréquentes retraites à leurs élèves. Voltaire nous apprend lui-même que celle-ci a duré huit jours. (H. B.)